A lire ou à relire.
Document historique délivré par les Bases documentaires du ministère des Affaires étrangères et
européennes
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Monsieur le Président,
C'est la troisième fois que je me
permets de m'adresser à vous de ma propre initiative, car vous aviez, au terme
de notre deuxième entretien le 17 juin 1960, exprimé le désir de garder un
contact direct avec moi, et m'aviez prié de vous écrire lorsque j'en
éprouverais la nécessité.
De plus, ayant quitté le
gouvernement il y a quatre ans pour des raisons personnelles, je n'aurais pas
osé vous déranger si nous ne nous étions revus cette année au cours des
funérailles du Dr Adenauer dans la capitale de l'Allemagne de l'Ouest, et si
nous n'avions eu, sur votre demande, un entretien amical et cordial, en dépit
du fait que je ne suis plus aujourd'hui qu'un simple citoyen de l'État
d'Israël. Enfin, je prends la liberté de vous écrire, car j'ai été troublé par
votre discours dans lequel vous avez accordé une place importante à l'État
d'Israël, au sionisme et au peuple juif. Il y avait dans ce discours quelques
propos attristants et inquiétants, et comme je suis de ceux qui vous estiment
et vous respectent depuis fort longtemps – bien avant d'avoir eu l'honneur de
vous rencontrer – non pas pour votre amitié et votre aide à Israël pendant de
longues années, mais pour le grand acte historique que vous avez accompli pendant
et après la Seconde Guerre mondiale, en sauvant l'honneur et la position de la
France à qui notre peuple et toutes les nations sont redevables depuis la
Révolution française pour son action en faveur du progrès social et culturel de
l'humanité, j'ai décidé de vous faire part de quelques remarques.
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Je me suis abstenu d'adhérer à la
critique injuste formulée par de nombreuses personnes en France, en Israël et
dans d'autres pays qui, je pense, n'ont pas examiné vos propos avec tout le
sérieux requis. Je ne considère pas avoir le droit de discuter vos opinions sur
la politique française à l'égard des autres pays – dont Israël – si vous n'en
faites pas vous-même la demande. Mais je sais que d'innombrables personnes dans
le monde chrétien ne connaissent ni ne comprennent l'essence même du judaïsme,
unique et sans précédent dans l'histoire de l'humanité, depuis l'antiquité et
jusqu'à nos jours. Par respect et estime pour vous, Monsieur le Président, je
me vois dans l'obligation morale envers mon peuple, envers vous et le peuple
français qui nous a tant aidés avant et depuis la renaissance de l'État juif,
d'insister sur les intentions réelles et la voie choisie par l'État d'Israël.
J'ai, pendant quinze ans depuis la création de l'État, été le Premier ministre
et le ministre de la Défense, et ai pris une part active dans l'orientation de
notre politique étrangère et de défense. Et, avant la création de l'État, j'ai,
en tant que président du Comité directeur de l'Organisation sioniste à Jérusalem, agi pendant quinze ans
de façon parfois décisive sur la politique sioniste en faveur de l'État.
Nous étions, dans l'Antiquité, le
premier peuple monothéiste du monde, et cette foi en un seul Dieu, qui n'était
ni comprise ni acceptée par tous les autres peuples à quelques exceptions près,
nous a causé de grandes souffrances. Les Grecs disaient de nous que nous sommes
un « peuple sans Dieu », puisque nous n'avions aucune idole dans nos villes et
agglomérations. Les Romains nous accusaient d'être paresseux, car nous nous
reposions un jour par semaine. Inutile de mentionner ici ce que dirent de nous
de nombreux chrétiens lorsque le christianisme s'imposa dans l'empire romain,
et que les Juifs refusèrent
d'adhérer à cette religion née en Palestine, au sein même du peuple juif. Notre
indépendance dans notre patrie fut anéantie à deux reprises. Jérusalem fut
totalement détruite par le vainqueur romain, et son nom fut même effacé pendant
longtemps. Mais nos ancêtres, captifs à Babylone il y a près de 2 500
ans, pleuraient sur les bords des fleuves en se souvenant de Sion (psaume 137),
et s'étaient juré : « Si je t'oublie, Jérusalem, que
ma droite m'oublie ! Que ma langue s'attache à mon palais, si je ne me souviens
de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ». Et ils
demeurèrent fidèles à leur serment. Tout ceci eut lieu bien avant l'existence
de Paris, de Londres ou de Moscou.
Vous savez aussi bien que moi que
de nombreux peuples adoptèrent le christianisme – et ensuite l'islam – par
contrainte. On essaya aussi de faire pression sur nous, et certains Juifs qui
ne purent ou n'osèrent s'opposer, se soumirent. Mais notre peuple dans son
ensemble résista, et vous savez certainement ce qui nous arriva en Espagne et
pas là seulement – au XIe siècle. Je ne
connais aucun peuple qui fut chassé de son pays, dispersé parmi toutes les
nations du monde, haï et persécuté, poursuivi et massacré – rien qu'au cours de
notre génération six millions de Juifs furent assassinés par le régime nazi –
et qui ne disparut pas de l'Histoire, ne désespéra pas ni ne s'assimila, mais
bien au contraire, aspira sans discontinuer à retourner dans son pays, continua
pendant deux mille ans à avoir foi en sa rédemption messianique, et retourna
enfin de nos jours dans son pays pour y renouveler son indépendance. Aucun
autre peuple dans ce pays – qui, dans notre langue, s'appela toujours, après
Chanaan, Eretz Israël (pays d'Israël) – ne s'identifia totalement et toute sa
vie durant à ce pays, bien que de nombreux peuples le conquirent (Egyptiens,
Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Arabes, Seidjoukides, Croisés,
Mamelouks, Ottomans, Britanniques et autres). Ce pays ne fut jamais la seule et
unique patrie d'autres peuples que le peuple juif.